Nous terminons notre série d’articles sur l’impact de l’intelligence artificielle sur le marché de l’immobilier d’entreprise. Dans ce quatrième et dernier article, nous tentons une synthèse, en listant les conditions de réussite d’un projet iA, les exemples d’échec aussi et les perspectives.
20.07.2022
L’immobilier et l’iA :
synthèse et perspectives
Résumons les épisodes précédents :
• l’iA impacte tous les secteurs de l’économie et l’immobilier n’est pas en reste. L’accès à des volumes massifs de données, la nouvelle puissance de calcul des ordinateurs et l’amélioration des algorithmes sont les trois facteurs qui expliquent ces avancées.
• les capteurs fournissent des données essentielles pour piloter un bâtiment intelligemment et piloter sa consommation énergétique. Les données de marché peuvent être analysées pour évaluer un bien, identifier un deal potentiel et accélérer la transaction. Les applications sont nombreuses, avec des réalités diverses. A l’instar de la prose de Monsieur Jourdain, on utilise parfois de l’iA sans s’en apercevoir, l’argument commercial n’étant pas tant de détailler la technologie que de valoriser son bénéfice final. Par souci de confidentialité, les recettes de l’iA ne sont pas toujours dévoilées, et l’iA est aussi un mot à la mode très pratique, synonyme d’innovation.
• l’iA va-t-elle remplacer le professionnel de l’immobilier ? Probablement pas. Ce remplacement tient plus du mythe entretenu par les films de science-fiction. En revanche, comme d’autres technologies avant elle, l’iA est plus efficace et plus précise pour certaines tâches, comme l’analyse intelligente de documents juridiques et de données de marché. Ce gain de productivité impacte le métier car il dégage du temps pour la partie relationnelle et une partie du métier que l’iA ne peut concurrencer.
• l’iA peut-elle prédire l’avenir ? Partiellement. L’analyse de nombreuses données historiques permet la mise en place d’une maintenance prédictive et d’anticiper le déménagement potentiel d’une entreprise ou encore la vente d’un immeuble.
L’iA est-elle une solution miracle ?
Bien qu’elle permette des avancées majeures, l’iA n’est pas une solution miracle. Comme le précise Charlie Wade, Managing Director de VTS, acteur majeur de la digitalisation de la transaction immobilière aux US, « l’iA peut être un outil très puissant, et pas seulement un mot à la mode. Pour gagner en efficacité avec l’automatisation, l’industrie doit voir l’iA comme une solution et pas un résultat, en identifiant avant tout les problèmes à régler ». On peut donc classer l’iA aux côtés des nouvelles technologies qui ont boosté nos métiers, à la différence que l’application peut être, selon les cas, limitée ou révolutionnaire. En matière de valorisation de la data, il s’agit davantage d’un accélérateur, avec des conditions préalables de réussite.
Avant toute chose, l’iA c’est exploiter de la data
• L’étude des nombreuses applications immobilières de l’iA génère un constat : le résidentiel est largement mieux servi que l’immobilier tertiaire, plus complexe et disposant d’un moindre volume de données. Si les volumes de ventes d’appartements et de maisons sont importants en résidentiel, le volume de prises à bail (et encore moins de ventes) est beaucoup plus faibles en immobilier d’entreprises. Quoiqu’il en soit, le volume en immobilier d’entreprise est insuffisant, le résultat ne pourra pas être aussi fiable qu’en résidentiel. C’est pourquoi, sur certains sites immobiliers, les estimations de prix sont complétées par un indice de fiabilité.
• Complément logique, la data utilisée doit être fiable et exploitable ; sa valorisation passe par plusieurs étapes, comme l’illustre bien ce visuel à base de lego. (Data story telling – Monica Rosales Ascencio). Prenons un exemple simple avec les DVF (Demande de Valeurs Foncières), désormais accessibles en open data. Je cherche les transactions dans un secteur, j’identifie la dizaine de ventes comparables, je télécharge les mutations de la section sur l’application DVF et j’obtiens en réalité une cinquantaine de lignes à travailler, car chaque vente contient une à cinq lignes, en fonction de la nature ou de la parcelle. Ce travail de fiabilisation est donc une des premières étapes pour exploiter la donnée. Il faudra ensuite travailler la présentation pour un usage bien défini. Nous avons coutume de dire que la data seule ne vaut rien ; seul son usage a de la valeur.
• Conditions additionnelles pour exploiter de la data avec l’iA : de l’expertise humaine, de l’infrastructure informatique, une certaine agilité et bien sûr, un respect des règles éthiques et légales.
Les échecs de l’iA : il y a loin de la coupe aux lèvres…
Il fallut quelques crashs à Elon Musk et Space X, avant de prouver que sa fusée réutilisable Falcon était fiable pour envoyer des satellites en orbite. Comme toute innovation, l’iA a aussi connu son lot d’échecs retentissants :
• Très exploité dans le domaine médical, l’iA peut sauver des vies, en évitant les erreurs de diagnostic. En 2012, le programme à 62M$ mis en place par IBM pour diagnostiquer et traiter des cancers a fourni des indications inverses à celles attendues, ce qui aurait pu avoir des effets dramatiques.
• Pendant plusieurs années, Amazon a testé l’intelligence artificielle pour analyser les CV et recruter de nouveaux collaborateurs. Le programme a été arrêté après avoir découvert qu’il était sexiste et écartait systématiquement les candidatures féminines, une dérive due au mode d’apprentissage…
• Certains chatbots ont connu également connu de sérieux échecs. En 2016, Microsoft testait une nouvelle application qui en moins de 24 heures, a commencé à répondre de manière agressive, offensante et raciste, reprenant des réactions acquises dans les conversations. Comme quoi l’apprentissage et la reproduction du langage humain a ses limites…
• L’iA dans les voitures autonomes : selon l’OMS, chaque année 1,35 million de personnes meurent d’accidents de voitures et 50 millions sont sérieusement blessées dans le monde*. L’erreur humaine étant à l’origine de 94% des accidents, la voiture autonome peut sauver beaucoup de vies. Google annonce que ses voitures autonomes sont capables d’éviter 90% des accidents grâce à l’iA. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Les voitures autonomes sont capables d’erreurs dramatiques. En 2018, un véhicule expérimental Uber percutait une femme poussant son vélo à pied sur le bord de la route. Le logiciel aurait bien repéré la cycliste mais il n’était pas programmé pour identifier un piéton en dehors des clous. Les essais de voiture avaient été interrompus avant de reprendre plus tard.
• Mastodonte de l’immobilier aux USA, Zillow s’est lancé dans le marché du ibuying, qui consiste à racheter des propriétés à un prix déterminé grâce à un algorithme (utilisant de l’iA, Zestimate en l’occurrence), à faire une rapide rénovation et à les remettre à la vente sur le marché. Après plusieurs années d’investissement massifs, Zillow a finalement arrêté cette activité qui a généré des millions de dollars de perte. Comme l’expliquent Arnaud Hamzaoui et Vincent Lecamus, cofondateurs de l’excellent site Immo2.pro, « Il semblerait que Zillow ait voulu aller trop vite et trop fort sur le marché du iBuying. En achetant tous azimuts, sans forcément s’assurer qu’il y aurait un acheteur pour racheter par la suite. (…) Certains soulignent également que ce retrait est la preuve que même Zillow ne peut se fier à son outil d’estimation « Zestimate ». Le marché étant tellement volatile ces derniers temps, l’algorithme aurait été dérouté… et aurait mené Zillow à surévaluer les propriétés avant de les racheter. Problématique pour un iBuyer ! »
Le fonctionnement de l’iA implique une période d’apprentissage qui risque de générer des gaffes de ce genre si un chatbot est mal éduqué ou si un produit est lancé trop vite mais l’outil va être mieux maîtrisé au fil du temps pour éviter des lancements de produits.
Forces et faiblesses de l’iA
L’iA séduit et déroute. Sa mise en place n’est pas si simple. Les facteurs clés de succès d’un projet iA émergent : une data en volume et qualité suffisants, des objectifs clairs, une approche agile, une bonne combinaison de compétences (data et engineering), une sensibilisation des équipes au sujet iA et … du temps.
S’il fallait faire une synthèse des forces et faiblesses de l’iA appliquée à l’immobilier, cela pourrait ressembler à ce tableau :
Forces | Faiblesses |
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Déployer l’iA dans son entreprise
De la théorie à la pratique : vous vous posez peut-être la question. « Comment bénéficier de ces progrès et de ces nouvelles possibilités offertes par l’iA, au sein de mon organisation ? » Pour aller plus loin, il sera important de se former, de faire appel à des compétences externes ou les développer en interne. Tout partira de vos objectifs et de vos ressources.
Vous pouvez intégrer des applications qui ont déjà intégré l’iA : c’est le cas de solution de chat et de support clients comme ZenDesk, qui permet d’exploiter les réponses manuelles pour alimenter un chatbot intelligent. Comme expliqué dans l’article 3, notre application La Place de l’immobilier intègre désormais l’iA pour identifier des immeubles selon leur étape dans leur cycle de vie, ou pour cibler des locataires avec une probabilité augmentée de déménagement. D’autres applications existent pour d’autres usages, comme listées dans les articles précédents, pour la gestion technique, la rédaction d’annonces, l’optimisation du parcours clients, du process de transaction ou l’amélioration des photos.
Pour déployer de l’iA en interne, vous devrez réaliser un diagnostic et évaluer sa faisabilité. Certains experts de la data et de l’iA comme la société OperationData sont spécialisés sur ce genre d’audit, proposé en trois étapes : 1. Evaluer le potentiel du projet, de création de valeur par la data et l’iA 2. Cadrer la solution et la faisabilité du projet (et chiffrer sa mise en œuvre) 3. Maitriser les risques. Si, comme l’estime Cem Dilmegani, de la société AIMultiple, professeur à la Columbia Business School, il est vrai que 85% des projets d’iA échouent ou délivrent des résultats erronés, cette phase préparatoire est essentielle.
Perspectives
Passer en revue l’impact de l’iA sur le marché immobilier offre un panel contrasté de l’état de l’art, avec des applications très avancées et d’autres encore au stade expérimental. Le marché immobilier est fragmenté, segmenté et l’information n’est pas toujours en libre accès. Quand l’Etat libère les données en offrant exhaustivité et quantité pour les DVF, l’iA peut fonctionner à plein régime pour analyser les valeurs vénales. Quand les données disponibles et la taille du segment de marché sont limités, l’incitation à l’innovation l’est également.
En immobilier d’entreprise, le manque de volume demeure un frein important. Mais aussi le manque de transparence et la dispersion de l’information. De nombreuses informations sont encore conservées dans des feuilles excel, mises à jour manuellement et peu digitalisées. Certains ratios de marché font l’objet de publications régulières, avec des indicateurs limités. Les données sont plus faciles à trouver en bureaux qu’en commerce. Les offres se partagent largement en Ile-de-France et moins sur les marchés en Régions. Pourquoi ? Question d’habitudes, de taille de marché et de conjoncture. Ce débat n’est pas nouveau et le manque de transparence ne joue pas en faveur du développement de l’iA.
Dans d’autres cas, il existe un manque de continuité dans l’exploitation des données. A titre d’exemple, la technologie BIM (Building Information Modelling ou Modélisation des Informations de la Construction) est au cœur du projet du constructeur mais elle est souvent délaissée par le property manager et encore moins utilisée par l’utilisateur final, par manque d’usage ou en raison du coût que cela représente).
Si le futur de l’iA repose sur les conditions de succès précitées, il dépend aussi de la volonté des acteurs qui font ce marché, de leur appétence à innover dans la data et de leur capacité à développer de nouvelles propositions de valeur, qui constitueront un avantage concurrentiel significatif. Si l’iA permet d’identifier de nouvelles opportunités foncières plus efficacement, de cibler les locataires sur le départ et de réaliser des transactions plus rapidement que ses confrères, elle deviendra un atout incontournable.
Adrien MORY
Directeur Marketing, LA PLACE de l’Immobilier LinkedIn : https://www.linkedin.com/in/adrienmory/ Twitter : @AdrienMory |
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